19/03/2023
Il y a huit ans, le 11 décembre 2014, ma mère rendait son dernier souffle à l’âge de 70 ans. Entre le diagnostic de son cancer et sa mort, il s’est écoulé six mois.
Dans cet intervalle, il y a eu un traitement de chimiothérapie prescrit par le Centre Lyon Béard à Lyon, l’acceptation de rentrer dans un protocole de recherche médicale et une hospitalisation à domicile.
Après plusieurs mois de traitement éprouvant, les médecins n’ayant pas de guérison à lui offrir, elle s’est octroyée le droit d’en finir « avant les fêtes ».
Entre le moment où mon père, en présence de ma tante, a ouvert le robinet de la perfusion contenant le produit barbiturique et le dernier souffle, il s’est écoulé un certain temps.
Outre le fait que cette aide à mourir était parfaitement illégale, c’est ce « certains temps » qui est à l’origine de mes questionnements.
C’est la confidentialité de cette histoire de fin de vie qui me donne envie de nourrir l’argumentaire en faveur du droit à choisir sa propre mort dans un cadre légal au moment où démarre une convention citoyenne sur la fin de vie.
Le geste effectué par mon père a été demandé par ma mère deux mois plus tôt. Cette requête a été acceptée par sa sœur et ses deux filles.
Le choix d’avoir la main sur sa propre mort, ma mère l’a formulé à une période où son état de santé était médiocre mais pas catastrophique. Les dégradations physiques, dont certaines très humiliantes, ont eu lieu dans les semaines qui ont précédé sa mort.
Passée l’étape de sidération liée à la nouvelle du diagnostic (qui coïncidait avec la fin de son mandat électoral et donc au début de la « vraie » retraite), ma mère a vite enfilé son armure de soldat pour « se battre » contre la maladie.
Pour que ce malheur serve à quelque chose, elle a accepté de rentrer dans une cohorte de patients pour tester un nouveau médicament. Les règles du « jeu » sont connues: il y a un échantillon de malades qui se voient administrer la molécule à l’étude et un échantillon qui reçoit le placebo. Et bien sûr ni le patient, ni les proches ne sauront dans quel groupe il/elle se trouve.
Très vite les chimiothérapies s’avèrent très rudes à supporter. Les effets secondaires sont nombreux: nausées, perte de poids, œdèmes, fatigue extrême… Le nombre de plaquettes s’effondre. Les séances de chimio sont espacées pour permettre au corps de reprendre des forces. Avant chaque départ pour Lyon (1h45 de route), ma mère doit faire une prise de sang pour voir si elle est apte à recevoir son traitement. Si les résultats ne sont pas satisfaisants, le rendez-vous est annulé. Après quelques reports, elle ne peut plus figurer dans le protocole de recherche. Cette situation sera vécue comme un échec par ma mère et il n’y aura aucune parole déculpabilisante prononcée par le corps médical à ce moment douloureux. L’oncologue qui assure le suivi du dossier se révèle froid et distant; pas même une palpation lors de la consultation. Bien sûr aucune porte ouverte par ce soignant pour accueillir les angoisses ou le découragement.
La maladie génère de l’ascite qui pèse dans le ventre de ma mère. Des ponctions sont faites à plusieurs reprises. L’appétit a disparu. Les nausées sont fortes. Les vomissements explosifs.
Le personnel de l’HAD (hospitalisation à domicile) a été remarquable de par son professionnalisme, son dévouement et sa gentillesse. En contrepartie, ma mère s’évertue à être une « bonne » malade, capable d’humour sur son sort et bien sûr sans jamais aucune plainte.
J’aurais aimé que le hasard me propulse parmi les 150 citoyen-nes qui vont débattre sur l'encadrement de la fin de vie aujourd'hui et des améliorations possibles.
Pour avancer sur le sujet, nous bénéficions de l’expérience de pays voisins.
Pour rappel si on envisage de rendre légal l’acte consistant à aider une personne à mourir il y a deux possibilités: l’euthanasie (mort provoquée par un soignant sur demande d’un malade en injectant un produit létal) ou le suicide assisté (la personne qui demande à mourir doit prendre elle-même le produit létal fourni par le médecin ou un tiers).
L’expression « Mourir délibérément » me semble plus pertinente que « mourir dignement ».
À ce stade, je partage l’idée de François Galichet (professeur de philosophie à l’université de Strasbourg) de remplacer l’euthanasie ou le suicide assisté par une formule plus claire: la mort délibérée.
L’expression « Mourir délibérément » me semble plus pertinente que « mourir dignement ».
Elle contient l’idée de la responsabilité assumée de celui ou celle qui fait ce choix.
Voyons maintenant comment les voisins ont réfléchi et légiféré sur le sujet.
Le premier pays européen a avoir autorisé l’euthanasie (1) (comprenez: mort provoquée par un soignant sur demande d’un malade) ce sont les Pays-Bas. C’était il y a plus de 20 ans. Leur texte de loi permettait d’emblée d’envisager la mort choisie pour d’autres raisons qu’une maladie incurable. Ainsi, actuellement 20% des personnes euthanasiées aux Pays Bas choisissent cette solution finale pour des raisons telles que le mal-être, la fragilité, la vieillesse, la lassitude.
En France, on n’a même pas passé le cap d’autoriser les malades incurables à choisir.
Et pourtant…. Quid de ce monsieur en Ehpad qui régulièrement dit qu’il veut que « ça cesse » parce que son hémiplégie et sa cécité le privent de son autonomie; du moins celle qui, à ses yeux, est acceptable ? Du coup, c’est quoi la solution pour lui ? On a quoi à dire à ce monsieur qui estime qu’un homme assis n’est pas un homme digne ? On accepte d’entendre sa demande : médecin, psychologue, famille se réunissent autour de lui. La paralysie, la cécité, le ralentissement de l’élocution ne sont pas des maladies incurables: quand bien même la loi évoluerait, ce monsieur n’est pas assez malade. Et tant pis si les jours s’étirent dans la lassitude, la colère et le ressentiment.
Pourtant quand l’acteur Alain Dussolier incarne à l’écran André Bernheim, 85 ans, grand bourgeois et collectionneur d’art qu’un AVC rend diminué et dépendant, et qui choisit d’aller mourir en Suisse, on ne peut qu’adhérer à son projet. « Tout s’est bien passé », réalisé par François Ozon et adapté du livre éponyme d’Emmanuèle Bernheim, raconte le trajet intime d’une fille à qui le père demande son aide pour mourir. Du refus initial à l’acceptation, avec une intelligence fidèle à l’ouvrage d’origine, la fille aidera son père à réaliser son vœu ultime. Il va sans dire que les inégalités de choix ont à voir avec la classe sociale…
Un avortement « de confort »… Une mort « de confort »…
Je prends le temps de lire les arguments des frileux ou des opposants farouches à l’euthanasie et au suicide assisté: il existe un fantasme autour de l’idée qu’on abuserait de ce droit tout comme (selon les mêmes personnes?) les femmes abuseraient du droit à l’avortement. Un avortement « de confort »… Une mort « de confort »…
Pourtant, là encore, les pays voisins nous fournissent des indicateurs qui devraient calmer ces peurs.
La Belgique a été le deuxième pays européen à faire évoluer sa législation en matière de droit à choisir de mourir. (Je ne me résigne pas à utiliser la formule étrange de «mourir dans la dignité» car cela donne de l’eau au moulin des détracteurs qui estiment que la mort naturelle (même si douloureuse) est tout aussi digne). En 2021, l’euthanasie représente en Belgique 2,4% du nombre total de décès. Cela concernait en majorité des personnes de 60 à 89 ans et, dans 84% des cas, le décès était attendu à « brève échéance ». Plus de la moitié ont eu lieu à domicile.
Cette demande de mourir à domicile me paraît un aspect très important qui permet de tisser un pont avec les équipes des soins palliatifs en cas d’hospitalisation à domicile. Permettre à la personne d’avoir recours au suicide assisté, c’est autoriser la mort à sortir du cadre hospitalier. L’hôpital ne sera jamais un lieu apaisant pour un-e mourant-e. La personne qui dit adieu à ses proches a envie de garder la maîtrise de qui rentre dans sa chambre, à quelle heure et de prendre le temps qu’il faut pour se dire les choses ou donner des objets ou des lettres. Pas besoin de lumière de néon crue pour ces ultimes au revoir. L’hôpital n’est pas un lieu adapté à cette intimité pourtant si cruciale à ce moment précis de la vie.
En Espagne, une loi légalisant l’aide à la fin de vie, est entrée en vigueur en juin 2021.
180 euthanasies ont été effectuées la première année suivant l’application de la loi.
Accessoirement, ces morts ont donné lieu à 68 transplantations grâce à 22 donneurs.
Le don d’organes est bien sûr un sujet intimement lié aux conditions de décès: si le décès est programmé et si les directives anticipées sont explicites, les dons peuvent être planifiés et des gens malades peuvent voir leur espérance de vie augmentée significativement. Les personnes mourantes qui assument le choix du don d’organe peuvent ressentir une certaine fierté à faire ce choix.
En Suisse, en 2021, 1 600 personnes ont fait appel aux deux associations offrant leurs services d’assistance à la mort: Exit (2) et Dignitas (3). Actuellement, certains malades incurables français qui ont les moyens financiers vont en Suisse pour obtenir le droit au suicide assisté.
En France, la loi Claeys-Léonetti (2016) a renforcé le droit d'accès aux soins palliatifs mis en place en 1999. Elle met à disposition les directives anticipées et la désignation de la personne de confiance, pour permettre aux concitoyens d'exprimer leurs volontés.
La loi initiale et les compléments apportés en 2016 font l’objet de sévères critiques: jugés par certains comme une montagne d’hypocrisie. En brandissant le refus d’euthanasie, ils cautionnent la lâcheté.
Plusieurs associations ont été créées pour faire des propositions.
Certaines proposent des modèles de directives anticipées plus précises concernant les modalités de la sédation profonde et continue jusqu’à la mort. Elles exigent qu’elle soit rapide et efficace. Elles sondent les personnes qui s’intéressent à ces modalités afin de réfléchir au délai acceptable entre l’ingestion du produit létal et la mort : quelques minutes ; moins de 24 heures ; moins de deux, trois jours.
En Suisse, la mort intervient une heure au plus tard après l’ingestion du produit létal.
Oui messieurs les législateurs, ces détails triviaux doivent faire l’objet de clarification, car je ne souhaite à personne de dire adieu à un proche et de le laisser dans un entre-deux pendant 3 jours avec une respiration chaotique.
L’association française Le Choix propose d’inclure dans les directives une clause interdisant qu’on laisse le corps du malade se déshydrater (comme le propose la loi Claeys-Léonetti et la Haute Autorité de Santé); la déshydratation n’ayant pour but que de provoquer une insuffisance rénale dont l’installation lente prolonge une agonie inutile. Cette «obstination déraisonnable» entraîne des souffrances supplémentaires impossibles à évaluer tant pour le malade que pour les proches.
Plus simplement encore : quid des campagnes d’informations invitant les concitoyens et les concitoyennes à rédiger leurs directives anticipées ?
On sait le sort qui a été réservé aux nombreuses propositions concrètes rédigées par la Convention Citoyenne sur le climat. J’espère de tout cœur que les conclusions de la convention citoyenne sur la fin de vie auront droit à plus de considération. Les sondages montrent qu’une majorité des français et françaises souhaitent voir le cadre législatif évoluer. Il n’est pas juste que les membres d’une famille aient recours au « système D ».
L’aide à mourir : c’est un processus d’acceptation qui chemine puis à un moment donné c’est concret, c’est matériel, c’est un produit, une injection, une perfusion. Pour ma mère cette aide a été facilitée par le fait que mon père est médecin (preuve que le métier de soignant n’exclut pas l’accompagnement extrême de fin de vie) car il est plus aisé d’activer un réseau médical quand on est soi-même dans le sérail que lorsqu’on est plombier ou ouvrier dans le bâtiment. La question de la classe sociale, encore….
Le premier collègue à qui il a demandé le produit a décliné en mettant en avant ses convictions religieuses. (Le texte de loi devra tenir compte de ce potentiel droit de réserve en précisant que la demande du malade devra toutefois se voir proposer un soignant compétent et volontaire.) Je ne connais pas l’identité du second. Je ne l’ai jamais remercié. J’espère que ce texte lui rendra hommage. Je tiens à remercier mon père pour son courage et son amour indéfectible pour ma mère. Je remercie ma tante d’avoir été présente jusqu’au bout.
J’écris ce texte à la veille des « fêtes de Noël ». Je suis consciente que sa réception n’est pas aisée.
Mais il n’y a jamais de bons moments pour aborder ce sujet. Soit c’est l’été et les gens aspirent à un peu de repos et de légèreté; soit c’est la rentrée et donc il y a trop de choses à gérer; soit c’est la veille de Noël et ça gâche un peu « l’esprit de Noël »…
Une manière simple d’agir en toute saison : s’informer sur les trois associations militantes sur le sujet.
(1) Étymologiquement ce mot vient du grec « eu » : bien et « tanatos » : la mort, donc : bonne mort, mort douce et sans souffrance.
(2) Le mouvement EXIT pour le droit de mourir dans la dignité est né en Angleterre en 1935. Il s’est rapidement étendu à d’autres pays et à d’autres continents et compte à ce jour une cinquantaine d’associations regroupant près d’un million de membres et de sympathisants. «EXIT Suisse romande», a été fondée en 1982. Son but est de lutter contre l’acharnement thérapeutique, de faire reconnaître les droits du patient en revendiquant à travers ses directives anticipées le respect de sa volonté et de ses choix face à sa mort.
(3) Dignitas est une association d’utilité publique engagée pour l’autodétermination, la liberté de choix et la dignité humaine jusqu’au dernier instant de la vie. Ses activités de conseil englobent les sujets des soins palliatifs, de la prévention des tentatives de suicide, des directives anticipées et du suicide accompagné. L’association propose à ses membres les bases de décision qui leur permettent de conserver jusqu’à la fin la maîtrise de leur existence.
Ce site a l'ambition de collecter des récits pluriels sur la thématique de l'aide active à mourir et le suicide assisté. L'occasion peut-être pour certain-e-s de libérer une parole confidentielle. Il est agrémenté de rubriques permettant d'alimenter notre réflexion sur ce qu'on a désormais coutume d'appeler "la fin de vie".